Après « Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander », nouvelle collaboration de la Fondation Almayuda avec le Centre Pompidou autour de l’exposition Moï Ver, qui retrace la vie et le travail du photographe, graphiste et peintre Moshe Vorobeichic, né en 1904 à Vilnius (Lituanie) et mort en 1995 à Safed (Israël). Cette rétrospective réunit plus de trois cents œuvres et documents (photographies, peintures, dessins, imprimés), exposés au Centre Pompidou, puis au Musée de Varsovie et au Musée d’Art de Tel-Aviv.
Moshe Vorobeichic reçoit ses premières formations artistiques au début des années 1920 à Vilnius, en Lituanie. Il y suit des enseignements de peinture, d’architecture, et de photographie. Devenu une figure importante de l’avant-garde yiddish, il expose ses premières œuvres. À partir d’octobre 1927, il étudie à l’école du Bauhaus de Dessau (Allemagne), auprès du photographe-plasticien László Moholy-Nagy et des peintres Josef Albers, Paul Klee, Vassily Kandinsky, Hinnerk Scheper.
Entre 1929 et 1933, Moshe Vorobeichic vit à Paris, alors foyer international de la photographie d’avant-garde. Il y poursuit sa découverte de nouvelles formes artistiques, en photographie comme en peinture, auprès de Fernand Léger à l’Académie Moderne et à l’École technique de photographie et de cinéma.
« Moï Ver »
À Paris, il publie plusieurs de ses images, en indépendant ou pour l’agence Photo Globe, dans des revues telles que Arts et métiers graphiques, Plans, Bifur ou VU. Souvent signées du pseudonyme « Moï Ver », elles s’inscrivent dans l’esthétique de la Nouvelle Vision : vues en plongée, plans rapprochés, études de matières, décadrages, collages et photomontages.
En 1931, Moï Ver publie son premier livre d’artiste, « Paris » : un ouvrage à la mise en page avant-gardiste, illustré de 78 photomontages, qui devient l’une des références incontournables de l’histoire de la photographie.
La même année, il travaille à la réalisation d’un second ouvrage, « Ci-contre », qui sera publié́ à titre posthume. Présentée en intégralité́ dans l’exposition, la maquette originale du livre, contenant plus d’une centaine de photographies, est, aux côtés de « Paris », une œuvre majeure du modernisme photographique des années 1930. Ces deux ensembles témoignent d’un regard expérimental sur la société́ contemporaine et d’une maitrise saisissante du montage photographique.
Témoignages de la vie juive
Depuis la fin des années 1920 et jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, Moshe Vorobeichic réalise également une documentation photographique des communautés juives.
Son travail commence en 1928, par un reportage photographique sur le vieux quartier juif de Vilnius. Si la majorité́ des images est consacrée aux habitants de ce quartier, certaines ont pour sujet l’architecture, alternant vues générales, plans serrés sur les façades des bâtiments ou vues d’intérieurs de lieux de prière, à travers lesquelles on retrouve l’influence du Bauhaus de Dessau. Après avoir exposé cette série en 1929, il se voit confier la réalisation de l’ouvrage « The Ghetto Lane in Vilna », publiée en 1931, où il reproduit ses images, organisées en étonnants collages.
Moshe Vorobeichic poursuit sa documentation photographique de la vie juive populaire dans les villes et campagnes polonaises pendant les années. Photographiant principalement en extérieur, il utilise le plus souvent un Leica, appareil léger et discret qui lui permet d’enregistrer avec spontanéité́ visages en plans rapprochés et scènes de rue. Il s’intéresse également aux architectures et aux paysages, et réalise quelques études de matière abstraites.
Après s’être concentré essentiellement sur les communautés traditionnelles, il entreprend en 1937 un reportage sur les fermes agricoles (hakhsharot ou kibboutzim) destinées à la formation des jeunes sionistes préparant leur émigration en Palestine. Ces images, témoignages de la vie juive d’avant-guerre en Europe de l’Est, sont publiées pendant les années 1930 et 1940 dans la presse et dans différents ouvrages en Pologne, en France et en Palestine où il vit depuis 1934.
En Palestine
Moshe Vorobeichic part en Palestine pour la première fois en 1932, envoyé́ par l’agence Photo Globe. Ses images de juifs orientaux à Jérusalem sont publiées, puis exposées à Paris. Au printemps 1934, il s’installe définitivement en Palestine, alors sous mandat britannique et met son art au service de la propagande sioniste. Il photographie les « nouveaux migrants », la construction des infrastructures et la vie quotidienne des kibboutzim. Majoritairement inédites, ces images sont alors publiées dans des ouvrages, des brochures d’information et lui servent également de matière première pour la réalisation d’affiches politiques. Au début des années 1950, à l’âge de cinquante ans, Vorobeichic adopte le nom de Moshe Raviv, quitte Tel-Aviv et se retire dans le village de Safed, au nord du pays, près du lac de Tibériade.
Moshe Raviv y rejoint la communauté́ artistique juive, très active dans ce lieu depuis les années 1930. Il délaisse peu à peu sa pratique de la photographie et du graphisme, au profit d’un retour à la peinture à l’huile et plus marginalement au dessin et à la gravure. Ses œuvres révèlent de multiples influences : l’expressionisme, la littérature populaire yiddish, le modernisme, mais aussi la tradition ésotérique kabbalistique. Si quelques-unes d’entre elles incluent des références figuratives, tels des paysages, des figures religieuses ou des lieux d’étude, elles sont majoritairement abstraites, rappelant ses premiers travaux peints dans les années 1920.
C’est à Safed qu’il meurt en 1995, laissant derrière lui une œuvre qui n’avait jusqu’alors pas encore connu de rétrospective à la hauteur de sa vie de voyages et de témoignages. C’est sous le nom de « Moï Ver », qu’il utilisât en signature lors de son séjour à Paris, que Moshe Vorobeichic devenu Moshe Raviv trouve enfin une consécration méritée. En 2023 et 2024, l’exposition « Moï Ver », soutenue par la Fondation Almayuda, donnera à voir ses œuvres à Paris, Varsovie et Tel-Aviv.
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